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En chemin vers Gafsa

Publié le jeudi 24 avril 2014

« Gafsa ? Mais qu’est-ce que vous allez faire à Gafsa ? Vous allez vous ennuyer à mourir là-bas ! ». Premier échange, à l’aéroport de Nantes, avec une dame en partance pour Tunis avec son enfant. « Bon, vous pourrez aller à Djerba, à (…), il y a de très belles villes. Ou bien à Tunis, c’est très vivant. Vous allez faire quoi à Gafsa ? ». Des copains tentent de mettre de la vie, de faire réfléchir et agir, je leur donne un coup de main, et puis ça m’intéresse de voir. « Non, vraiment, Gafsa il n’y a rien à faire là-bas ».

Vue des toits à Gafsa – prise 1

L’avion est en retard, de deux heures. Les passagers en suspens dans le hall de l’aéroport avancent différentes versions des causes de ce retard. Devant la machine à café du parvis de l’aéroport, deux personnes qui étaient un peu après moi dans la file d’enregistrement : une dame et son mari, tunisien. « Nous on va à (nom de ville) c’est à 60 kilomètres au sud de Tunis. On passe notre retraite là-bas ». Le monsieur : « à Nantes, j’étouffe ».

C’est bien en Tunisie ? La dame « Nous on est arrivés en 2011, après les évènements. Les hôtels et les commerces étaient vides. Une partie a mis la clé sous la porte. Les français sont frileux, ils ne veulent pas trop revenir ». Le monsieur : « si, si, ça va ». La dame : « un peu, mais c’est plutôt les russes maintenant. Qu’est-ce qu’ils boivent ! Ils prennent des forfaits all inclusive et ils boivent du matin au soir. Les maris et les femmes ». Les commerçants parlent russe ? Le monsieur : « Les hôteliers se sont mis au russe, ça rapporte. Les animateurs et les employés sortent avec les femmes quand les messieurs sont trop ivres. Ce sont de très belles femmes ». La dame : « Oui mais avec ce qu’elles boivent dans cinq ans elles seront bien abîmées ».

« Vous allez où, à Tunis ? » me demandent-ils. Non, à Gafsa. Le monsieur : « Gafsa, j’ai un ami là-bas... Il est parti en Allemagne actuellement, il est marié avec une femme allemande ».

Vue des toits à Gafsa – prise 2

Plus tard, contrôle de sécurité avant l’accès à la zone d’attente. L’agent de sécurité, montagne de muscles au crâne rasé, me dit que ma bouteille d’eau ne peut pas passer. Ok. « L’eau c’est interdit, vous savez pourquoi ? ». Non, pas vraiment. « Parce que ça sert à faire des explosifs. N’importe qui peut trouver les plans sur internet ». Ok. Une dame en partance pour Mulhouse perd quant à elle le bénéfice d’une canette de Sprite. Dans la zone d’attente, surprise : des distributeurs permettent d’acheter à peu près n’importe quelle boisson. La bouteille d’eau de 50 cl est à 2€10. Et des passagers emportent dans leur bagage à main les bouteilles d’alcool achetées aux échoppes duty free.

Dans l’avion avant le décollage, des discussions ont trait à un monsieur qui aurait allumé une cigarette après l’atterrissage à Nantes (l’avion vient de Tunis, et repart pour Lyon, certains passagers restent à bord). La légalité de la sanction est discutée : 200€ d’ amende. La comparaison s’établit d’abord avec le prix du billet d’avion, puis avec des cartouches de cigarette : le prix de 8 cartouches à 25€.

Mon voisin de droite, de l’autre côté de l’allée, est un jeune homme habillé en costume noir. Il feuillette à l’attention de sa voisine un petit livre « apprendre le Saint-Coran ». Un classeur qu’il ouvre à une ou deux reprises comporte de nombreuses fiches tapées à l’ordinateur ; le titre de l’une d’elles est lisible « se moquer de la religion ». Mon voisin de gauche est un monsieur plutôt âgé, il a quitté la Tunisie pour la France à l’âge de 22 ans. Pendant une quarantaine d’années il a été boucher à Paris, et depuis 7 ou 8 ans, il habite à Lyon. A une ou deux reprises les turbulences aériennes nous amènent tous deux à nous accrocher au siège de devant. Moi : « il y a des bosses ». Lui, pas très bavard : « oui, oui ».

Vue des toits à Gafsa – prise 3

Pendant la pause à Lyon, je discute avec une dame habituée des liaisons France-Tunisie. Elle m’explique que Nouvel Air appartient aux proches de l’ancien régime, et que la compagnie nationale, Tunisair, est elle au bord du dépôt de bilan. Les allers-retours entre la France et la Tunisie tiennent à son activité professionnelle : elle travaille dans une association basée en Tunisie, chargée de veiller à la traçabilité des fonds alloués par l’Union Européenne. Elle me dit que le changement de régime n’a pas éliminé la corruption : celle-ci est plutôt en pleine recomposition. Les rapports de l’association donnent lieu à des suites une fois sur dix environ, car les responsabilités renvoient à des intérêts politiques. La comparaison qui me vient en tête : un peu comme les rapports de l’inspection du travail ? « Oui, voilà. Mais c’est mieux que rien, c’est ce qu’il faut se dire ».

Mon voisin au cours du vol Lyon-Tunis est un franco-italiano-tunisien, « fou mais réglo » écrira-t-il sur ma feuille de prise de notes. La discussion aura trait à la Tunisie, à différentes villes, aux mutations actuelles (et à la cuisine). La chute du régime Ben Ali lui paraît avoir causé plus de désordre que de bienfaits : le pouvoir en place lui paraît faible et tout aussi corrompu, il préférait l’autoritarisme du précédent, et la lisibilité des façons de faire. Le point de vue qu’il défend l’amène à discuter à bâtons rompus avec un autre passager, plutôt opposé à Ben Ali. Le débat passe rapidement en langue arabe. L’autre passager me dira après coup : « c’est vrai que les choses n’ont pas vraiment évolué, les pauvres sont plus pauvres, et les riches toujours aussi riches ».

Vue des toits à Gafsa – prise 4

L’arrivée à l’aéroport de Tunis amène d’autres discussions, d’autres rencontres. Le statut de volontaire laisse dubitatif plusieurs personnes : pour eux les associations ne sont pas forcément bienveillantes, probablement ont-ils en tête de mauvaises expériences. Les intérêts des financeurs internationaux leur pose question aussi. Le voisin d’avion « fou mais réglo » me recommande quelques gestes de prudence, me renseigne sur l’acquisition d’une carte de téléphone locale. Il affirme que certains passagers de l’avion ont des relations privilégiées et passent le contrôle des papiers en priorité (le lot commun étant de faire la queue pendant un certain temps). Finalement il part fumer une cigarette, paraît écoper d’une amende (c’est interdit à cet endroit), puis passe le contrôle des papiers en priorité.

Un vieux monsieur est assis à côté de moi sur un banc (il ne peut pas faire la file d’attente debout, et moi j’attends qu’elle s’écourte un peu) : il habite à Nantes, et prie à la mosquée de Jamet. On échange quelques mots mais la barrière mutuelle de la langue nous empêche d’aller plus loin que les noms de rue. Dans la file d’attente, un peu plus tard, un monsieur me fait une description de Byzerte, où il emmène sa grand-mère (tunisienne) pour trois semaines. Lui-même en profite pour célébrer son mariage. L’histoire de Byzerte est liée à celle de la France, de la guerre d’Algérie, puis de l’armée tunisienne.

Vue des toits à Gafsa – prise 5

Barbara (volontaire à Gafsa où elle a rejoint deux semaines plus tôt Romain et Julie) m’attend à la sortie de la salle de débarquement. Elle craint qu’on ne rate le dernier car pour Gafsa : c’est vrai qu’en plus du retard de l’avion, ma tendance à observer et discuter avec les personnes présentes n’a pas accéléré le cours des choses. On prend un taxi, qui accepte de faire une course rapide pour la gare routière. Un morceau de Daft Punk plus loin et nous voilà rendus. Le car nous emmènera en à peu près cinq heures à Gafsa :fin de parcours !

Fabrice

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