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J’aurais qu’à marcher

Publié le lundi 9 juin 2014

Texte écrit dans un contexte de ras-le-bol des harcèlements de rue quotidien, rédigé sur le vif, juste après l’un d’entre eux.

Quand je parle de la "place des connards", je fais allusion ici aux personnes qui m’y harcèlent, me sifflent, me regardent de travers et m’y font des réflexions vulgaires, à chaque fois que j’y passe ou presque. Je ne parle bien entendu aucunement des AUTRES personnes qui y vivent, y boivent des cafés, y passent.

Me voila revenue à Gafsa depuis une semaine précisément.
Il y a quelques jours je me faisais la réflexion, en sortant en semaine à 18h seule dans la rue, que ça faisait un moment que je ne m’étais pas retrouvée dans cette situation.
Et puis maintenant que les journées sont vraiment chaudes, à 18h,les terrasses sont remplies, uniquement d’hommes toujours, chaises vers rue.
Et puis aussi, ça faisait longtemps que je ne m’étais pas heurtée à passer par la place Pasteur seule à cette heure là, dite place des connards entre nous.
J’ai retrouvé les mêmes regards, bruits et sifflements.
Alors je reprends ma stratégie musique dans les oreilles et regard fixe devant moi.

Mais ça ne me suffit plus.
Hier je suis rentrée sur-enervée d’un simple tour de courses. Revenir des courses sur-enervée, c’est normal ? Parce que non, je ne les entends pas, mais je sens les regards et même si j’ai mes œillères fictives, ils pèsent lourds et ils sont sales ces regards.

Et aujourd’hui, ça ne m’a pas suffit non plus, les écouteurs.
Dimanche, 16h, 30 à 35 degrés, vent chaud. Personne dans les rues. Il faudrait être fou-olle pour sortir dans ces conditions. Les rares humains que je croise sont exclusivement des hommes.
J’arrive à la station de taxi pour en prendre un pour aller au local de l’association.
Le soleil tape sur la file de taxi à l’arrêt. Les chauffeurs sont sur le trottoir d’en face, à l’ombre. Ils sont bien dix, à attendre le-a client-e. Plus j’approche et moins je me sens à l’aise, malgré écouteurs, œillères et lunettes de soleil. A moindre échelle, ça me rappelle les gares de services et de louages, ces lieux virilistes qui empestent la testostérone et le connard.

Pas loupé, cette dizaine de chauffeurs de taxi devient en quelques secondes un tas de connards. Déjà il y a les regards qui pèsent lourd, les sourires dégueu, et puis c’est parti, ils sont un ou deux à lancer des sifflements … phénomène de groupe, ça enchaîne sur des hèlements, apostrophes, cris d’animaux. Des animaux devant un bout de viande qui serait moi.
Je passe mon chemin, je ne tourne pas la tête, ni ne me retourne, je n’accélère pas, je passe. Bien tentée de leur faire un beau bras d’honneur ou de leurs hurler dessus. Mais d’une part la honte sociale dans ce cas de situation ne fonctionne pas trop ici, et quant bien même : la rue est déserte. Oui, j’aurai pu le faire pour me soulager. Mais un groupe de chauffeurs de taxi rustres dégueulasse qui te hèles, tu fais pas la maline et tu passes ton chemin. Enfin moi c’est ce que j’ai fais.

Je file donc à pieds, en plein cagnard, direction l’association. Quelques taxis me dépassent sur la route en me klaxonnant. Je ne monte pas dedans : ce sont forcément les gros porcs qui viennent de me siffler. Je suis juste énervée et hallucinée de ce qui vient de se passer. Tellement gros, digne d’un court-métrage du ministère de je-sais-pas-quoi pour dénoncer le harcèlement dans la rue.
Marcher me défoule, et à la fois, je passe devant des cafés, et les quelques personnes que je croise sur mon chemin sont là encore des hommes, seulement.

Un copain de l’asso passe par là en voiture. Je grimpe, nous allons au même endroit. Je raconte ce qu’il vient de se passer. Réaction : « Ahaha ! Tu t’es pas encore habituée ? Ça fait trois mois que tu vis ici Julie quand même ! » Non je ne me suis pas habituée et j’espère bien ne jamais m’y habituer, pauvre tâche.

Encore énervée, je raconte ce qui vient de se passer une fois au local. Les personnes présentes, gafsien-nes, sourient de manière unanime. L’un d’entre eux rigole même : « C’est comme ça ! Ahaha ! Ils ont des mentalités pourries, mais on peut rien y faire, c’est comme ça Julie ! » C’est sur, j’aimerai t’y voir à te faire siffler toi. Il prend ça pour de l’anecdotique je crois, il ne réalise pas que je suis vraiment en colère. Et je crois juste qu’il est très maladroit.
Pour ce qui est des sourires, je sais que souvent ils cachent des malaises de la part des copain-ines d’ici, un truc de gène , de « je sais pas quoi te dire ».
Je me décide rapidement à rentrer. Eh oui, j’ai voulu aller au bout pour ne pas laisser ce tas de chauffeurs dégueulasses gagner complètement, j’ai atteins mon objectif sans taxi. Mais j’arrive pas à travailler !

Je prends un taxi dans le sens inverse, gentiment escortée par une volontaire de l’asso. Et pas loupé, dès que je me retrouve seule dans le taxi, le chauffeur : « Tu es française ou italienne ? » , je réponds sans grande conviction. Et enfin : « Tu es mariée à un gafsien ? », sourire en coin dans rétroviseur, clin d’œil à l’appui. Je crie un « Putain, stop ». Surpris, il s’arrête.

Je rentre à pieds.

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