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Hisham

Publié le jeudi 3 juillet 2014

Dans un contexte tendu, un palestinien raconte une nuit "normale"

Hisham a 19 ans. Quand je lui ai demandé son âge, il a réfléchi et a compté sur ses doigts pour se rappeler. L’année dernière il a raté son examen de fin de lycée, l’équivalent de notre baccalauréat et le repasse cette année. Il espère pouvoir étudier les mathématiques à l’Université et devenir prof de maths.

Je l’aime bien Hisham, il ne parle pas beaucoup, est très discret. Il ne comprend pas l’anglais, et je ne comprends pas l’arabe, si ce n’est quand il veut me proposer du thé. C’est lui qui fait le thé dans l’association, avec de la menthe et beaucoup de sucre. Ses sourires servent à valider la réciprocité de mon affection pour lui.

Parallèlement à ses études, Hisham est donc volontaire à Keffiyeh Center, au nouveau camp d’Askar près de Naplouse, en Palestine. Ce qu’il y fait exactement ? Je ne n’en sais rien, la barrière de la langue m’empêche de creuser sur son quotidien, ses envies, ses passions.

Ceci dit, je n’ai pas pu m’empêcher de vouloir en savoir plus quand j’ai appris que sa maison avait été fouillée et en partie détruite il y a quelques nuits, par des soldats israéliens en mission commando. J’ai demandé à mon pote Abu Eyad de faire la traduction. Voici comment ça s’est passé.

A deux heures et demie du matin, alors que toute la famille dormait, Hisham s’est vu être réveillé par une voix inconnue, parlant en Hébreu. Ses yeux se sont ouverts, et il a pu constater, visiblement sans grande surprise, qu’un canon de M16 pointait directement sa tête, et que l’homme qui le tenait lui ordonnait expressément de se lever. Chaque membre de sa famille ayant été assigné de son propre soldat.

Nous sommes depuis quelques jours en pleine période de crise en Palestine, la plus importante depuis la fin de la dernière Intifada. Pour retrouver trois colons disparus, le Tsahal s’est engagé dans une vaste mission de fouille, d’interrogatoire, d’arrestation, à travers toute la Cisjordanie. La maison d’Hisham n’est pas la première (et surement pas la dernière) à se faire fouler par des bottes israéliennes non invitées.

Les soldats ont détruit la porte d’entrée, puisque personne ne leur ouvrait. Normal, tout le monde dormait. En Palestine, je l’ai constaté, les gens ont le sommeil lourd. Allez savoir pourquoi…

Quand ils sont rentrés en masse dans la maison, la tension est montée directement, les femmes endormies n’étant pas voilées. Plus énervés qu’effrayés, les hommes de la famille ont haussé le ton, poussant même les soldats masqués et armés vers la sortie, pendant que les enfants pleuraient et que les femmes hurlaient leur rancune. Très vite, il y avait une soixantaine de soldats dans la maison familiale. Rapport de force habituel, la situation a vite tournée en faveur des soldats. Ceux-ci ont sommé la famille de se réunir dans une des chambres, l’ont fermée et l’ont faite garder par trois d’entre eux.

Toute la famille enfermée, dans l’impossibilité de se déplacer dans leur propre maison. Telle une mauvaise fiction d’anticipation, la dictature sioniste a poussé la non-liberté de circulation qu’elle impose aux palestiniens jusque dans leurs propres demeures. Impossible donc d’observer la situation, de constater les dégâts, de savoir ce qu’il se passait vraiment. Les bruits des placards qui explosaient au sol ou du canapé qui se déchirait sous une lame permettaient cependant d’envisager un minimum l’étendue des dégâts.

J’ai demandé à Hisham ce qu’ils se disaient dans cette chambre. Pour éviter que les enfants ne paniquent trop, ils essayaient de discuter comme si de rien n’était, ils blaguaient, riaient. Il m’explique alors qu’ils s’attendaient de toute façon à ce que la maison dans son ensemble soit détruite, qu’ils ne pouvaient rien n’y faire, et que ce n’était pas la première fois que cela arrivait. Sa distanciation avec l’horreur de l’histoire venait contrebalancer mon envie de chialer.

Progressivement, les soldats ont fait de moins en moins de bruit. La famille attendait, ne savant pas s’ils pouvaient sortir sans danger ou non. Ils prirent le risque, et allèrent constater les dégâts.

Les placards au sol.

La salle de bain détruite.

Le canapé déchiré.

Les bibelots explosé.

Hisham s’est alors souvenu de quand il était petit, pendant l’Intifada, quand les soldats rentraient chez lui la nuit et volaient l’or et l’argent de sa mère.

Il restait quelques soldats dans la maison, faisant je ne sais quoi. Les enfants leur criaient dessus « donnes moi mes affaires, sale voleur ». Lui, a lancé d’un air menaçant « notre chair est amer, et notre sang est empoisonné alors faites attention » comme pour les prier de quitter cette maison qu’ils venaient de détruire.

En parlant de vol, c’est ce qui énerva le plus la famille. L’ordinateur, les portables, et même quelques vêtements avec des écritures arabes dessus avaient disparus. Quand il comprit ça, il sorti avec son cousin, essayant de rattraper les soldats pour tenter naïvement de récupérer ses affaires. Quand il les retrouva, l’un d’eux le poussa, et son cousin s’interposa en criant. L’escalade de violence étant clairement perdue d’avance pour Hisham et son cousin, et n’allant certainement pas réussir à récupérer leurs affaires, ils firent demi-tour, après qu’un soldat leur lança un gentil « on va vous tirer dessus si vous ne rentrez pas chez vous ».

Les soldats fuyaient le camp à pied, n’étant pas venu avec les jeeps blindées habituelles, pour être le plus discret possible. Seulement, les palestiniens ont appris à faire tourner les informations à une vitesse incroyable. Dès que des soldats sont dans le camp et que quelqu’un les aperçoit, tout le camp est au courant en une fraction de seconde. Moi-même j’étais au courant que les soldats étaient chez Hisham pendant qu’ils y étaient, parlant avec mes amis sur Facebook.

S’il doit y avoir une troisième Intifada, Facebook jouera un rôle important, j’en suis persuadé, permettant de relayer des informations, des photos de la réalité, d’être un support visuel mondial, et permettant aux palestiniens de très vite être au courant des dangers qui les entourent.

Hisham et son cousin sont rentrés chez eux, laissant les soldats sans-gênes fuirent vers leurs jeeps cachées dans les montagnes alentour. Hisham eut l’information que d’autres soldats étaient autre part dans le camp. Lui et son cousin ramassèrent les bouts de murs cassés devenues projectiles potentiels, et accoururent vers le lieu où la jeep israélienne était posée. Les gens qui étaient dehors s’armèrent de pierre et guidèrent gentiment les soldats vers la sortie du camp.

On a souvent catalogué les Palestiniens comme des jeteurs de pierre. Je crois que si ce qui est arrivé à Hisham devait m’arriver, ce sont des rochers entiers que je jetterais sur mes persécuteurs.

Hisham n’a jamais récupéré ses affaires.

Le lendemain, quelqu’un est venu pour réparer les dégâts, aidé de quelques voisins. « On a l’habitude, ils détruisent et on reconstruit » me dit-il en souriant.

Je lui demande ce qu’il retient de cette histoire, s’il a eu peur, s’il est choqué. Il me répond que non, qu’il a l’habitude et qu’il était content que cette histoire se finisse par une fuite des soldats devant les habitants du camp. Ce qu’il retient, c’est une victoire des pierres sur les M16.

Je lui demande aussi pourquoi, selon lui, ils ont attaqué sa maison. Il me dit que c’est du hasard, mais que probablement le fait que tous ses oncles, son père et son frère aient été emprisonnés à un moment donné ait influencé le choix de l’armée.

On m’a dit que toutes les familles palestiniennes connaissaient quelqu’un en prison, tout le monde pouvant être emprisonné pour des raisons minimes. Ici, « it’s normal » comme on me dit tout le temps. C’est normal que l’armée israélienne entre dans les maisons la nuit, c’est normal qu’il y ait des checkpoints, c’est normal le bruit des bombes assourdissantes au loin. Le poids des mots me fend le cœur, constatant avec atrocité à quel point la normalité est subjective.

Deux jours après cette histoire « normale » pour mes amis qui m’a extrêmement choqué et révolté, j’observe Hisham dans le centre, mélangeant le thé et la menthe, son sourire transe-langue aux lèvres, sa bonne humeur intouchable, et je suis simplement content qu’il aille bien.

Une semaine plus tard, après qu’on ait retrouvé les corps des trois colons, l’armée israélienne est revenue et a arrêté son oncle, sans que l’on sache pourquoi.

Nico

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