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L’allégorie de la grenouille

Publié le lundi 21 juillet 2014

L’allégorie en question explique brièvement que si on plonge une grenouille dans de l’eau chaude, elle sautera instantanément en dehors de la casserole bouillante, réagissant au danger.
A contrario, si on la plonge dans la casserole remplie d’une eau froide, elle va rester dedans, même lorsque l’on va faire chauffer cette eau. A mesure que les degrés augmenteront, que l’eau se réchauffera, la grenouille ne pipera mot, et restera là, à s’ébouillanter, n’ayant pas conscience que la température de l’eau était devenue dangereuse pour elle, et elle mourra, vraisemblablement.

Cette allégorie sert à « illustrer le phénomène d’accoutumance conduisant à ne pas réagir à une situation grave ».

https://www.youtube.com/watch?v=NMPn14SnQyI

Palestine : jour 57.

Moi, petite grenouille aux prises avec cette question idiote : l’eau est-elle devenue trop chaude ?

Chaude sans doute ; bouillante, je ne pense pas. Je suis arrivé en terre sainte l’esprit flou et ouvert, souhaitant emmagasiner des exemples et des histoires qui m’aideront à illustrer mes idées antisionistes et pro-palestiniennes. Processus de paix, solution à deux états, combattre l’extrémisme, laisser les palestiniens tranquilles et occupez-vous de vos histoires sionistes entre vous.

Plongé dans la marmite, l’eau à ras bord, je vois les choses d’une toute autre manière. Fini l’idéalisme de la paix, finies les négociations, la reconnaissance de l’Etat Hébreux, l’injustice appelle la résistance, il faut que l’eau déborde, quitte à ce que des ingrédients de ce beau bouillon qui mijote depuis trop longtemps soient gâchés et finissent à la poubelle.

Dans cette marmite, je nage, en surface, en profondeur, je voyage au centre et sur les rebords, je parle aux ingrédients, je les côtois, écoute ce qu’ils ont à me dire, leurs souvenirs, leurs histoires, leurs aspirations similaires les uns aux autres. La liberté, la liberté mon frère, Freedom. Je me sens dans une chanson de Bob Marley. Palestine, tu redonnes de la vie aux paroles du maître Reggae.

J’essaye de m’accrocher aux rebords du récipient, de sortir de l’eau pour prendre du recul, mais la paroi est glissante, et l’idée de ne plus me baigner avec mes nouveaux amis m’angoisse profondément. J’en ai besoin, je veux qu’ils sentent ma peine, mon dégout et ma haine, qu’ils le sachent, qu’ils comprennent que je suis avec eux, avec tout mon cœur et toute mon âme, que je sais qu’ils ont raison, qu’ils sont les victimes malheureuses d’une volonté internationale de déculpabilisation pour la Shoah, dommages collatéraux d’un capitalisme qui s’étend au Moyen-Orient et qui touche toutes les sphères, aussi bien économiques et sociales, que religieuses ou relatives à la guerre. Je veux qu’ils le sachent parce que c’est tout ce que je puisse faire. Je ne trouverai pas les clefs de la Liberté cachées dans un coin de ma chambre en France, je ne trouverai pas les mots pour tuer le racisme anti-arabe en Israël, et je n’inventerai pas la machine à remonter le temps pour empêcher l’ONU de décider de l’établissement d’un Etat sioniste en terre Palestinienne.

Tout ce qu’il me reste à moi, petite grenouille occidentale fraichement marquée au fer rouge du mot PALESTINE, c’est ce soutien physique, par ma présence, auprès de mes amis qui souffrent. Rien de plus, finie l’illusion d’un espoir, d’une solution humanitaire qui viendra de l’étranger. Aujourd’hui, la marmite n’a pas d’autre choix que d’exploser, et je ne vois rien qui puisse rendre ce bouillon mangeable un jour, en tout cas pour les Palestiniens.

Parler de Paix et de solution à deux états, quelle hypocrisie. Comme si c’était une vraie question que l’on posait, comme si les Palestiniens avaient vraiment eu le choix de la paix et leur mot à dire. La plupart sont dociles, attendent, rêvent seulement de pouvoir aller à Jérusalem prier à Al-Aqsa, ou de prendre l’avion sans problème pour visiter l’Europe, sans avoir une grosse étiquette de TERRORISTE sur leurs fronts quand leurs passeports palestiniens arrivent dans les mains des agents de sécurité.

La Paix, ça fait longtemps qu’Israël pourrait l’avoir. Il faut qu’on arrête de prétendre que ça doit venir des deux camps, alors qu’un des camps en question possède absolument toutes les forces et que le second ne possède que des pierres et des roquettes artisanales. Au temps d’Arafat, la paix aurait pu être embrassée. Quand des colons disparaissent cette année et qu’on attaquait les civils, fouillait leurs maisons, emprisonnait des innocents, bombardait Gaza, ce n’est pas la Paix qu’on essaie de semer. Année après année, les sionistes de la Knesset ont pris les pires décisions possibles pour une vraie entente avec le peuple Palestinien, et osent ensuite parler de PROCESSUS DE PAIX.

Ils ont manipulé la foule, oublié qui avait provoqué qui, ils se sont victimisés en expliquant qu’ils avaient été légitimes d’attaquer Gaza puisque le Hamas lançait des roquettes, a posteriori.

Je suis dans une marmite d’eau qui chauffe et j’ai le sentiment de voir le Monde extérieur beaucoup plus clairement, comme si l’ensemble des responsables de la merde Palestinienne regardait d’en haut, attendant avec patience que l’eau bouille et que tout ça finisse, que les sionistes se mettent à table et dégustent leur victoire.
Il faut aussi arrêter de me parler de conflit, comme si ça en était un, ou de « complexité du problème israélo-palestinien ». Aujourd’hui, les choses sont très simples. Il y a Israël d’un côté, qui dispose du soutien de l’ONU, de la chambre des Congrès Américain, de l’Union Européenne, qui dispose de la quatrième puissance armée du Monde, qui a installé le service militaire obligatoire de trois ans, qui déborde d’argent. De l’autre côté, il y a les palestiniens, qui ruminent dans les souvenirs lointains d’un Jérusalem libre, qui dispose d’un mépris quotidien de l’armée israélienne, d’une occupation, de colonies illégales, de terres pillées et volées, ignorés par tout le Monde, pointés du doigt au moindre acte de résistance et blâmés de terroristes. Des pierres, des combattants peu entraînés, un fanatisme religieux qui se développe parfois, un gouvernement passif, corrompu, et taxé de collaborateur avec Tsahal. La seule chose qu’ils ont en plus sur les sionistes, c’est que la plupart d’entre eux sont prêts à mourir pour leurs terres.

Il y a deux jours, j’ai rencontré une américaine qui se disait sceptique sur le « conflit », et qui m’a gentiment pris de haut en disant que je n’étais pas objectif sur la situation parce que je refusais de parler avec des sionistes, et a enchaîné en disant qu’il y avait des responsabilités dans les deux camps et que les Palestiniens avaient tués des Israéliens aussi.

J’ai compris que le retour en France, la sortie forcée de la casserole dans laquelle mon corps est plongé depuis plusieurs mois, allait être difficile. Faire face au scepticisme, à la remise en cause systématique, à cette volonté tellement humaine de comprendre et de ne pas prendre parti pour l’un ou l’autre dans un conflit, préférant la position stable du neutre, face au racisme de l’Arabe, ce terroriste en puissance, face aux pro-palestiniens qui tombent dans le piège de l’antisémitisme et qui font le jeu de la manipulation sioniste pour créer des raccourcis entre antisionisme et antisémitisme.

Le bain bouillant est tellement plus agréable et rassurant, plongé dans la vérité, aussi difficile soit elle, aussi révoltante et injuste, rien ne donne plus de satisfaction que de se sentir au bon endroit pour être en accord avec ses idées, quitte à souffrir, quitte à ne pas voir à temps que l’eau est trop chaude et que l’air devient irrespirable, quitte à dormir peu.

Bizarrement, je me sens bien, même si je crois sentir la chaleur du liquide dans lequel je suis plongé, même si parfois j’ai du mal à respirer et j’étouffe d’être complètement perdu. Je me sens bien parce que je sais que les gens que j’ai rencontré vivent pour les raisons les plus nobles du Monde, et je ne vois pas comment ne pas vibrer pour eux, comment ne pas avoir envie de les prendre tous dans mes bras, les uns après les autres, pour leur donner du courage, pour qu’ils sachent qu’ils ne sont pas tous seuls.

J’ai conscience que les vapeurs de l’eau qui chauffe commencent sérieusement à m’attaquer et à me faire perdre une part de mes valeurs humanistes, mais j’ai vraiment envie d’envoyer valser mon pacifisme de Bisounours, ma non-violence illusoire, mes idées politiques pour réfléchir à une solution. C’est comme si, en venant ici, j’avais compris qu’il n’y aurait jamais de solution « politico-socio-économique » plausible suffisamment bien pour que les gens que j’ai rencontrés soient apaisés. Bien sûr qu’avec un petit effort de la communauté internationale nous pourrions avoir deux Etats, indépendants, et que les années qui passent pourraient aider à stabiliser les belligérances. Probablement. Et mes amis pourraient circuler sans check-points, pourraient bosser pour quelques shekels, manger en famille, et peut-être même visiter Jérusalem.

Et après ? Comment guérir leurs âmes ? Comment tirer un trait sur tous les morts, les humiliations, les coups de couteaux ? Comment effacer les cicatrices et oublier la colonisation ? Trois générations de névrosés foulent les terres que je visite, comment les aider ? Comment dire aux réfugiés qu’ils ne retourneront jamais dans leurs villages d’origine ? Que la maison qu’ils se sont fait voler appartient à d’autres personnes maintenant. Les sionistes ont volé la terre des Palestiniens et leur reprochent de vouloir la reprendre, mauvais petit arabe qui n’obéit pas et ne devient pas docile.
Deux états, ça veut dire qu’ils renoncent à récupérer leurs biens, leurs droits et leurs dignités. Deux états, c’est la fin de la résistance, la fin du combat. La paix à deux Etats, ce serait une fausse victoire pour les Palestiniens.

On en arrive donc logiquement à cette question : que proposes-tu alors, Nicolas ?
JUSTICE. La Palestine reprend ses frontières de 1948, le gouvernement sioniste prend sa retraite, les sionistes qui ne supportent pas l’idée retournent du pays dont ils sont venus, les réfugiés retournent chez eux, récupèrent leurs maisons ou la partagent avec les nouveaux habitants (qui n’y sont pas forcément pour quelque chose au bout de 60 ans) et tous ces gens, Musulmans, Juifs, Chrétiens, Samaritains, Athées, sont appelés Palestiniens, puisqu’ils vivent (en harmonie) en Palestine.

Je préfère proposer l’Utopie, l’impossible, plutôt qu’une solution possible qui ne me satisfera ni moi, ni mes amis, ni la plupart des gens.

La violence ne me rebute plus. Si Malek doit prendre les armes et se battre contre les soldats oppresseurs, s’il doit mourir comme son cousin dans une nouvelle Intifada, malgré ma tristesse, je sais qu’au moins il aura agi pour aller dans le sens de la Liberté. Cette liberté, entière et complète, je le sais, si elle doit arriver, et si je veux être objectif, elle passera par le sang, encore et encore. Quelqu’un m’a dit ici « on perd des gens tous les jours, pour rien, et ça va continuer pendant 5, 10, 50 ans, alors pourquoi ne pas perdre tous ces gens d’un coup, mais que leur mort serve à libérer le pays ? ».

Abu Bader m’a dit l’autre soir, quand j’étais au bord de la crise de nerfs après ma discussion avec cette américaine « sceptique », « nous (les palestiniens) avons des cicatrices partout sur le corps à cause de ce que nous subissons. Maintenant que tu as vécu avec nous, que tu as vu la vérité, tu as des cicatrices aussi, comme nous ». Une manière comme une autre de dire que je faisais partie de la marmite.

Okay, je crois que l’eau commence à bouillir.

Nico

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