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1984-SuperStar

Publié le dimanche 18 janvier 2015

Je mets ça là, parce que je n’avais pas d’autre endroit où le mettre.

J’ai l’impression de prendre progressivement conscience que tout ce qui m’entoure est un poison nocif, qui ronge mon esprit et celui de mes collègues humains. Nous, pauvres êtres n’ayant rien demandé, nous nous retrouvons tirés de l’antimatière pour être catapultés dans une société existante, et touchant probablement à sa fin. Les racines de notre très chère Mère Patrie s’entremêlent et, jamais élaguée, jamais rempotée, elle se meurt, étouffée en son sein, n’étant plus qu’un amas de perversions, d’égocentrisme et de haine.

Je n’avais rien demandé et me voilà au cœur d’un désastre humain. J’ai pourtant pris le temps d’analyser cet univers, passage obligé pour espérer survivre dans un milieu inconnu, et puis j’ai malheureusement fini par comprendre l’autodafé qu’avait lancé la race humaine sur elle-même, tel l’idiot qui préfère aller jusqu’au bout de sa connerie plutôt que d’avouer qu’il a fait n’importe quoi.

Je suis las. Las et fatigué, n’arrivant pas à me détacher de tous les constats que je fais, peut-être à tort d’ailleurs. J’ai une vision pessimiste de la société, du Monde, des êtres humains, je le sais, je l’explique. Mais je n’arrive pas à faire autrement. Il fait froid dans mon cœur et, jour après jour, mon espoir se meurt. J’étais déjà bien fatigué et il a fallu qu’on en arrive là, en ce début d’année 2015, alors que je ne m’étais toujours pas remis de l’angoisse annuelle de constater que la vie défile plus vite que ma capacité à accepter le temps qui passe et la mortalité qui me définit.

Le triste mois de Janvier, symbole du renouveau, vient déjà systématiquement te rappeler tes échecs des bonnes résolutions passées, ton inaction, tes rêves qui diminuent, tes cheveux qui tombent, ton poids qui augmente. Janvier, l’heure du bilan et des perspectives, toujours de plus en plus sombres. Janvier, déjà l’horreur. On n’avait pas besoin de ça. En tout cas, je n’avais pas besoin de ça, en Janvier comme en Juillet finalement. La tristesse de cette histoire de Charlie Hebdo commençait à m’empêcher de dormir.

Pas tant l’attentat en lui-même d’ailleurs, aussi triste soit-il, et aussi horrifiant que cela à dû être pour les victimes des frères Kouachi. Malheureusement pour moi, pour mes (futurs) enfants, pour mes camarades de vie, la violence ne me choque plus, les morts ne me surprennent pas. Je ne sais pas pleurer les gens que je ne connaissais pas. J’ai commencé à me sentir triste quand j’ai compris que ceux qui avaient pété un plomb et déchargé leurs cartouches, l’avaient fait au nom de l’Islam, cette religion qui en prend déjà plein la gueule, et ce, un peu partout. J’ai été triste parce que j’ai compris où cela allait nous mener : les amalgames, les clichés, les stigmatisations, les peurs, les vengeances... Finalement, vers le renforcement des différences et du communautarisme. Bien évidement, c’est parce que régnait déjà ici-bas une ambiance particulièrement puante que j’ai eu peur de cela. Cet acte débile viendrait servir d’exemple démagogique pour tous ces adeptes du buzz islamophobe, tous ces capitalistes du racisme, ces vendeurs d’amalgames. Des intellectuels soit disant, libéralisant les thèses sombres qui veulent rattacher l’Islam à la barbarie et à l’infériorité devant les autres religions.

Ces idiots de terroristes, ces gosses paumés radicalisés, ces fondamentalistes d’une religion qu’ils ignoraient, avaient finalement serré la main de Zemmour, Tesson, Finkielkraut, Morano, Fourest, Cassen, et de tous ces fondamentalistes de la connerie, complices malgré eux de leurs succès grandissant, galvanisant les idées ségrégationnistes de ces bien-pensants qui se cachent derrière les notions unanimes de Démocratie, de République ou de Laïcité pour déverser leurs haines des musulmans, divisant pour mieux régner, pour mieux vendre leurs interventions, leurs conférences, leurs bouquins. Le business de la haine et du racisme intellectualisé est en plein essor. Autant que celui de la mort d’ailleurs.

Oui, avant de constater que mes peurs étaient légitimes, il fallait d’abord passer par la phase morbide du commerce de la tragédie, la beauté ridicule « Je suis Charlie ». Les rassemblements spontanés du mercredi soir, juste après la tuerie, m’avaient semblé importants, rassurants et bienveillants, parce que ne se rassemblant derrière aucune notion. Ce n’était pas une marche pour la liberté d’expression, contre le radicalisme ou pour la paix. Il m’avait semblé que c’était simplement une marche pour éviter de se sentir trop seul, une marche qui semblait dire « réunissons-nous une dernière fois avant de nous pouiller la gueule ». Le calme avant la tempête quoi.

Et puis « Je suis Charlie » est devenu la photo de profil de la moitié de mes contacts Facebook. « Je suis Charlie » est devenu un t-shirt, un badge, une pancarte, un hashtag, des titres de Une. « Je suis Charlie » est devenu un débat. « Êtes-vous Charlie ? », « Je ne suis pas Charlie », « Nous sommes tous Charlie ». Déclinaison à l’infini d’un soutien spontané devenu idée politisée. Tout le monde y va de son analyse, essayant de définir cette phrase qui tendait déjà, en deux jours, à s’imposer comme un axiome, voire un fondement de la future société française.
Dire « Je suis Charlie » ça semble vouloir dire être pour la liberté d’expression. Ou bien ça veut dire soutenir ce journal que plus personne ne lisait. Ou bien être contre le fanatisme religieux. Ou bien même, être pour la paix .

Le fascisme de la solidarité envers les morts était en place, stigmatisant déjà ceux qui préféraient attendre avant de se faire une opinion sur toute cette histoire, ceux qui voulaient prévenir des amalgames contre les musulmans, ceux qui doutaient de la véracité de l’histoire, ceux qui osaient encore critiquer le journal pourtant traîné dans la boue depuis des années.

J’ai compris que les médias, les politiques et les anar-fachos étaient en train d’imposer le culte de Charlie Hebdo quand, à France Radio, la journaliste demandait au Président du Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF) si il regrettait, AUJOURD’HUI, d’avoir porté plainte contre Charlie Hebdo lors de l’histoire des caricatures de Mahomet. Il allait devenir impossible d’émettre l’idée que le journal cultivait les thèses islamophobes, participait à rendre l’odeur sociale puante. Il allait devenir impossible de dire qu’on n’aimait pas l’hebdomadaire. Peut-être même qu’il allait falloir étudier à l’école des passages et des dessins du journal, pour que tout le monde commence à penser que Charlie Hebdo était le garant de l’esprit critique et la lumière face à l’obscurantisme du Monde. Il y aura bientôt une petite sœur à la loi Gayssot, et il allait devenir compliqué d’être septique face l’ensemble de l’histoire. Je sentais qu’on tombait très rapidement dans un grand foutoir où les opportunistes des idées allaient prêcher leurs bonnes paroles nocives et tenter d’établir des liens entre leurs théories réactionnaires et ces événements isolés.

La liberté d’expression, qu’on dit menacée, qu’on dit disparaître à cause de cet attentat, n’a été en réalité que renforcée. J’entends déjà les sombres idées trouver une protection systématique avec la formule magique « plus jamais Charlie Hebdo ». La grande machine à mélanger et confondre, labourant les définitions des termes, introduisant l’ambiguïté dans la sémantique de l’inconscient collectif. Comment fait-on pour passer d’un attentat perpétué par deux connards paumés à un débat sur la laïcité ? Il n’y avait pourtant aucun lien.

Et tout le monde y va de sa petite analyse, du complotiste systémique qui va réussir à lier Charb à Goldman Sachs, au consommateur intensif de TF1, en passant par l’intellectuel bobo qui confond Laïcité et Anticléricalisme et qui se met à lire l’hebdomadaire pour la première fois. Tout le monde se sent investi de la mission d’éduquer l’autre, de l’éclairer sur ce moment sombre de l’Histoire. Et les divergences sont exposées, bataillées, à coup d’article, de vidéos, de débats idiots. Aux sujets brûlants, des réactions explosives.

Et puis j’ai ri. J’ai ri jaune, mais j’ai ri quand même. J’ai bien ri tout d’abord, quand j’ai vu les survivants arpenter les plateaux télé pour contribuer à la déification d’un organe de presse au bord de la disparition. J’ai bien ri quand je les ai vus sauter sur l’occasion de sauver ce qu’il restait du journal, quand je les ai vus devenir des symboles, des Dieux vivants, eux-mêmes qui pissaient volontiers sur les symboles et les Dieux. J’ai bien ri quand ils ont décidé de tirer un nouveau numéro à 5 millions d’exemplaires grâce, entre autre, à un financement de l’État. La faillite semble lointaine...

J’ai encore plus ri quand j’ai constaté, sans grande surprise, que ce moment tragique irait influencer toute la politique nationale et internationale. François Hollande, le même qui surfait avec le fond du panier devenait du jour au lendemain le leader charismatique d’un occident unifié devant l’ennemi oriental, obscur et fanatique. Manuel Valls, ce chevalier sans peur, notre patriarche, qui allait tous nous mettre à l’abri, nous enroulant de ses bras protecteurs. La France avait peur vous savez, et il fallait la protéger.

Et cette grande marche parisienne sous le soleil radieux, qui venait propulser notre Président en rassembleur, en souverain de la Paix mondialisée. Israël à sa droite, la Palestine à sa gauche. C’est sans doute cela qui m’a fait le plus rire d’ailleurs, de voir le mec responsable de la mort de plus de deux mille personnes, 6 mois auparavant, défiler, en première ligne, pour la paix, pour la liberté d’expression et contre le terrorisme. J’ai ri un peu, et ensuite j’ai baissé la tête, libéré. C’était la goutte salvatrice, celle qui venait tuer toute once d’espoir pour cette humanité à laquelle j’appartenais. Cet espoir pour comprendre, expliquer et faire avancer, à mon échelle, ce Monde qui m’entourait, mourrait dans la tristesse et la consternation face à la plus mauvaise blague imaginable. Mais au moins, cela me libérait de cette pression pour améliorer les choses. Sans espoir, il n’y avait plus rien à attendre. Quelle liberté. Nous étions trop profondément enfoncés dans la bêtise et l’intérêt politico-financier pour espérer vivre en paix avec des valeurs qui me semblaient importantes.

Quelques jours après, alors que les cadavres ont refroidi, et que l’instrumentalisation de ce 7 janvier est officiellement permise, on commence à sentir vers où nous allons, tous ensemble, main dans la main. Le débat « je suis » ou « je ne suis pas » Charlie s’oriente petit à petit vers des notions plus fondamentales et potentiellement dangereuses. On interpelle et jette en prison plusieurs personnes, en confondant humour potache, alcoolisme ou provocation avec « apologie du terrorisme », terme vague et au service d’une pensée unique inquiétante qui se développe devant mes yeux. Il y a aussi ce sondage, et on lui accorde l’importance que l’on désire, qui vient de démontrer qu’une majorité d’entre nous, mes amis, serait prêt à renoncer à une partie de leurs libertés pour assurer leurs sécurités. On exclut des enfants des collèges pour ne pas avoir respecté une minute de silence imposée et probablement mal amenée à eux. On multiplie les reportages et les articles sur « ces jeunes qui croient en la théorie du complot », ces jeunes dont on s’arrange pour qu’ils soient noirs ou arabes. Tant qu’à faire, autant consolider les amalgames. On demande au musulman lambda de se désolidariser, encore et encore et encore avec les extrémistes, avec les Djihadistes, avec les frères Kouachi.

Tout cela, mis bout à bout, ressemble au scénario vu et revu, d’une société en souffrance, qui tombe progressivement et volontairement dans un fascisme qui, pour être protecteur, se doit d’être liberticide. On stigmatise une population, on établit un ennemi, on développe l’idée que le danger est imminent, partout, de tout instant, on nous amène à avoir peur et naturellement, on se met à vouloir que nos fichiers, nos conversations, nos pas dans la rue, soient surveillés, épluchés, enregistrés. Pour protéger notre liberté, on nous pousse à y renoncer.

Et comme mon espoir est mort pendant que trois millions d’entre vous étiez unis à Netanyahou dans une grande marche hypocrite et symboliquement ridicule, je n’ai même plus envie d’essayer de vous appeler à la vigilance, du haut de ma condescendance que vous allez probablement me prêter. A la place, je vais marcher avec vous, marcher vers le Meilleur des Mondes, et vous aider à créer un Grand Frère social, qui nous protégera tous de ces barbares que nous ne connaissons pas.

Nico

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