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Le choix des mots et le pouvoir d’agir

« Nous ne rêvons plus de nous-mêmes comme des héros,ni comme des victimes » Mahmour Darwish, écrit sur un mu du camp de dheishe

Publié le lundi 21 septembre 2015

Paulo Freire disait qu’il ne servait à rien d’apprendre si ce n’était pas pour déchiffrer, agir et lutter sur le monde. En tant qu’association d’éducation populaire, CEMEA et Laylak, nous partageons cette analyse et le travaillons de différentes manières. C’est ainsi qu’en nommant, nous luttons pour avoir prise sur nos vies et transformer la société.

Au cemea, nous travaillons sur l’écriture comme témoignage, comme trace, comme capacité à dire le monde, comme moyen de prendre une place dans la société, comme circulation d’information, comme élaboration. (pour aller plus loin :
http://www.international.cemea-pdll.org/ )
En Palestine, dans le camp de Deishe un dictionnaire collectifs et d’autres expériences ont été mises en place afin de reprendre la main sur le quotidien.
(pour aller plus loin : http://www.campusincamps.ps/ )

L’article ci-dessous évoque le projet dans lequel trois réfugiés se sont investis : Aysar AL Saifi, Morad Owdah et Naba Assi. Cet écrit retrace le contexte dans lequel est né le projet de dictionnaire collectif, lequel s’inscrit dans les luttes et perspectives qu’il ouvrent.
Nés dans le camp de Dheisheh en Palestine occupée et originaire de Palestine 48, ces trois volontaires militent aujourd’hui dans l’association Laylac. Jusqu’en 2014 ils ont participé au projet Campus in Camp. En 2014, ils ont quittés le projet de Campus in Camp mais continue de militer à Laylak sur d’autres actions d’éducation et poursuivent par celles-ci ce projet qu’ils ont porté.

Contexte
...quand une vision extérieure imposée vient frapper une réalité vécue
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Les camps de réfugiés ont un statut qui leur est propre. L’autorité palestinienne les accueillent, l’UNRWA y opère sur un aspect humanitaire et des comités populaires issus des camps ont été mis en place localement pour assurer le suivi de la vie au quotidien. Ce sont donc des espaces qui ne sont ni privé, ni public. Les personnes ne possèdent en effet pas leur maison et ne sont pas directement placés sous l’autorité d’un gouvernement. C’est un des premier endroit qui n’est pas directement régit par des lois gouvernementales. La fonction de la loi est donc assurée par les familles, le social et les liens existants entre les personnes. Le camp est donc un espace du commun.
Au quotidien l’occupation israélienne et l’actualité font qu’ils sont placés sous le regard d’organisations internationales.

Aysar:Nous nous posions la question « qu’est-ce que nous sommes au milieu de tous ces discours de chercheurs, écrivains, ….sur NOUS ? »
Morad : Les touristes, dans le camp, nous demandaient de sourire pour prendre des photos. On se demandait « pourquoi ces touristes viennent ici ? » On avait l’impression d’être dans un musée. Nous ne sommes pas des objets à photographier.
Le camp n’est ni zone publique, ni zone privée. Nous vivons, nous avons une histoire, une culture. Il y a des traditions anciennes bien vivantes de solidarité. Il n’y a pas de personnes qui souffrent de ne pas manger dans le camp. Nous ne sommes pas faibles. On parle des réfugiés que comme des victimes.
Nous avons des choses à dire.

Campus in camp, le dictionnaire collectif, histoire d’un processus collectif
...un projet mis en place entre différentEs acteurICEs de la société et puisant ses racines dans une histoire plus large

Négocié entre un secteur de l’UNRWA et des associations du camp, une université
du camp est mise en place pour des jeunes réfugiés de toute la palestine occupée : c’est le projet campus in camp.

De nombreuses discussions ont été nécessaires pour mettre en place les bases du projet. Les employés de l’UNRWA pensaient faire entrer l’université dans le camp. Suite à des échanges, le projet a été défini comme formalisant une université provenant du camp.

Campus in camp a été l’occasion pour les jeunes réfugiéEs de mettre en place un dictionnaire de concepts et de lieux, de définir leur sens, de décrire leur rapport au monde.
Ce dictionnaire collectif est disponible en version numérique sur le site de campus in camp et en version papier sous forme de brochure, il est aujourd’hui disponible en arabe et en anglais.

Pour réaliser ce dictionnaire collectif les jeunes réfugiés se font vivre des expériences collectives et montent des projets dans les lieux qu’ils décrivent.
Ils choisissent ainsi des idées qu’ils veulent traiter.
Suite à ce vécu commun, chacunE écrit un article sur le thème ciblé, l’ensemble de ces textes forme un recueil, sous forme de brochure et est incluse dans le dictionnaire collectif.

Aysar et Morad : Depuis la 1ère Intifada (1987) livres et journaux nous étaient interdits. Nous informions par les murs. Sur un mur peint on peut lire « la guerre nous prend notre terre mais nous donne des rêves »
Nous avons fait un « dictionnaire collectif » et avons pu profiter du projet campus in camp pour renforcer cette dynamique.
De la fabrication du dictionnaire est né une « université populaire ». Nous avons aujourd’hui commencé à publier un projet intitulé « 100 histoires ».
Les gens se sentent plus forts avec de tels projets. Des poètes sont nés.
Lors d’une expérience collective j’ai fait un voyage de trois heures avec un vieil homme. Nous lui demandions « quand arrive-t-on ? ». Il nous a répondu « Marchez » : l’important n’était pas la destination mais le voyage, les échanges. La question est de savoir pourquoi et pour qui je résiste.

Un processus qui permet de poursuivre des combats
...pas à pas, le dictionnaire, la mise en place d’initiatives, la manière de parler le monde.{{}}
Aysar et Morad témoignent sur certaines de ces luttes de réappropriation de leur quotidien :

Les murs du camp
Les mur sont une forme de média social qui s’inscrivent dans le processus éducatif. Durant la première Intifada, écrire sur le mur était considéré comme un acte politique et l’on pouvait être arrêté pour cela. Les internationaux les trouvent parfois hideux mais en réalité ils ont des dimensions social, politique et historique. En effet, ce qui y est écrit révèle l’histoire commune et continue l’éducation des jeunes générations.

Le mur de l’apartheid

Je refuse d’écrire, de dessiner sur le « mur de l’apartheid ». Je ne veux pas l’embellir, comme le font des artistes (Banksy, …) ce sale mur ! En effet, si il y a des fresques , je ne vois plus qu’elles, j’en oublie le mur détestable et j’accepte plus l’occupation.
La personne qui vient écrire sur le mur doit être dans un processus d’apprentissage et d’enseignement. Il comprendra ainsi que nous ne somme ni pauvre, ni des victimes. À l’inverse du capitalisme que valorise une forme de richesse particulière, nous mettons en avant le social et les relations entre les personnes. Le camp est riche d’histoire.

Religion et politique
Il est important de séparer politique et religion, certaines familles font le baptême hors d’espace religieux. Le baptême dépasse le fait religieux.
Après « CHARLIE » il y a eu à Bethléem une grande manifestation chrétienne qui soutenait le prophète. A HEBRON des musulmans ont manifesté « on soutient jésus ». Chez nous la liberté individuelle n’a comme seule limite, la liberté des autres.

Le droit au retour des réfugiés comme chemin d’un projet politique

Mon rêve c’est le droit au retour.
Mon rêve c’est qu’il y ait un jour une forte demande d’immigrés et de réfugiés politiques de venir vivre chez nous en Palestine et que nous puissions les accueillir avec joie.

Des mots, des enjeux

Naba : Détruire est plus facile que construire, il faut peu d’énergie et d’organisation pour détruire une maison alors que pour la construire, il faut : des matériaux, du temps, de l’organisation, des compétences plus diverses...
Pour les mots c’est un peu différent, c’est un peu plus dur. Les mots peuvent transmettre différentes signification. Par exemple, si l’on utilise le concept de verre, nous pouvons l’imaginer plus ou moins petit, rond, large...
Prendre du temps sera nécessaire pour déconstruire notre première idée et accepter qu’il y a plus qu’une signification. Nous ne parlons pas ici de ce qui est vrai et de ce qui est faux, car cela n’existe pas. Nous voulons comprendre et faire comprendre qu’il n’y a pas qu’une signification. De même, dans le dictionnaire collectif, chacunE peut écrire sa manière de voir, sa compréhension des choses.

Nous ne sommes pas égaux devant les significations. Chomsky expliquait que 20 secondes suffisaient pour faire circuler l’idée que Ben Laden est un terroriste alors qu’une heure n’était pas forcément suffisante pour expliquer en quoi la politique extérieurs des états unis est une politique d’état terroriste.
Les médias font aussi de la censure, l’autre jour j’ai posté un article sur facebook expliquant comment le sionisme essayant de se faire passer pour un mouvement oppressé et pour une organisation juive. Une demi heure après l’avoir posté, il a été censuré et retiré, ce n’est pas un cas isolé.
En Palestine aujourd’hui, nous repérons que nous avons un triangle du taboo, nous ne pouvons parler ni de sexe, ni de politique, ni de religion.
L’idée du dictionnaire collectif est de retrouver la main, la capacité d’agir sur cela. Nous voulons recycler nos têtes comme nous recyclons le matériel que nous utilisons lors de nos actions.

Je vous donne deux exemples.
Cela nous permettra de mieux nous organiser, en effet, si l’on parle du droit au retour, nous ne parlons pas que du fait de rentrer dans nos villages d’origines. Le gouvernement israélien a proposé il y a quelques années que les réfugiés puissent retourner vivre dans leur village d’origine. Mais une fois retournée dans leur habitations familiale, ils devraient vivre sous l’autorité de l’état israélien. Ce n’est pas ce que j’entends pas droit au retour, le droit au retour c’est avoir une liberté de mouvements, de circuler, de s’installer ou nous le souhaitons. De retrouver la capacité d’agir que nous aurions eu si nous n’avions pas été expulsé par la force.

Aujourd’hui beaucoup de palestinienNEs estiment qu’ils sont citoyens, en réalité je pense que ce sont aussi des réfugiés. Ils ne sont pas citoyens, il n’ont pas de pouvoir politique, ils ne peuvent pas se déplacer librement et choisir d’aller à la mer. Un travail sur ce concet semble donc nécessaire pour pouvoir choisir notre futur.

Perspectives

… plus qu’une initiative isolée, un travail à long terme.{{}}

Naba : Si je poste une photo de Assaf (gagnant de arabe idol en 2013) sur facebook j’aurai 1000 like, si je poste un point de situation sur les prisonniers palestinienNEs, j’en aurai 9 »
Aujourd’hui les personnes ne questionnent pas tant les check-point qu’elles se demandent comment elles peuvent avoir une vie tranquille.

Pourquoi dit on des palestinienNEs d’israël ? Est-ce à dire qu’illes ne sont pas chez elles et eux ? Qu’en est-il du droit au retour des PalestinienNES réaffirmé par l’ONU, de leur droit à rentrer chez eux à Saint Jean d’Acre, à Haifa, à Jafa (…) en tant que personne mais aussi en tant que peuple palestinienNE ?
Pourquoi mentionne t on toujours Gaza et la Cisjordanie alors que la Palestine va bien au delà...
Pourquoi est-on en train de sacraliser l’image de certainEs politiciens palestinienNEs et de certainEs résistantEs plutôt de que souligner la place du mouvement populaire, de parler du gouvernement palestinien comme unique issue...

Naba explique que de telles expériences ont déjà eu lieu, qu’il est important de les poursuivre :

Autrefois il y avait plus de « lecture » (conférence, débat public sur des questions de politique, résistance et de société), quand on y allait on nous demandait d’écrire quelque chose sur ce que nous y avions compris.

Des expériences d’éducation populaire se mettent en place sur ces questions, en vue de recréer des espaces collectifs de pensée, d’échange et de renforcer la capacité à élaborer et à agir.

Il semble nécessaire d’avoir un travail sur les mots, sur l’histoire pour comprendre la situation dans laquelle nous évoluons. Cela pourrait être le premier pas vers la mise en place de solutions collectives.

« Le commun c’est la résistance, la lutte et la rébellion. » 
extrait de la brochure « commun » de Campus in Camp

jb
militant CEMEA Pays de Loire

Note : ce texte est issu de discussion, de conférences mais aussi de différents médias, entre autre : http://www.laylac.org/, http://www.campusincamps.ps/projects/06-the-pathways/

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