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Une expérience en Spielmobil

Publié le lundi 28 septembre 2015

Lors de notre dispositif de mobilité Erasmus+ à Hambourg nous avons été en immersion dans un Spielmobil (jeu qui bouge si on traduit mots à mots).

En 1989, des étudiants en STAPS (filière sportive) mettent en place des jeux traditionnels dans des quartiers populaires d’Hambourg. Au fur à mesure, le projet grandit et ils acquièrent un camion pour pouvoir apporter du matériel de jeu avec eux dans les quartiers.

Aujourd’hui, différentes associations interviennent dans différents quartiers populaires d’Hambourg et principalement dans les quartiers où sont regroupés les lieux d’hébergement pour les réfugiés. On appelle cela « camps de réfugiés » ici à Hambourg mais cela est bien différent de la France.

L’Allemagne est aujourd’hui le pays d’Europe qui accueille le plus de réfugiés : 202.000 demandes en Allemagne en 2014, dont 12 600 à Hambourg contre 3 800 en 2011. Hambourg accueille 2.5% de l’ensemble des populations réfugiées sur le territoire allemand.

L’accueil des réfugiés est géré à Hambourg par Fördern und Wohnen, en charge du logement, de la distribution des repas et d’assurer une assistance médicale, psychologique et sociale. Les travailleurs sociaux de F&W se mobilisent pour accompagner les réfugiés dans leurs démarches administratives. Ils organisent également la scolarisation des enfants qui est obligatoire dans le cadre du principe de subsidiarité inscrit dans la loi.
A leur arrivée à Hambourg, les réfugiés sont accueillis dans un centre de premier accueil (ZEA, Zentrale Erstaufnahme) pour une période de trois mois. Durant cette période, ils attendent une réponse des autorités concernant leur demande d’asile et l’obtention d’un permis de séjour.
Suite à l’arrivée massive de populations réfugiées en 2013 et 2014, la capacité des centres a été portée à près de 3.500 personnes. Jusqu’en 2012 les centres de la ZEA pouvaient accueillir seulement 270 réfugiés. Pour cela, de nouveaux centres ont été construits. Pour autant, il est difficile pour la ville de faire face à l’augmentation rapide du nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile, dans l’urgence. Aussi, les centres sont surpeuplés et la durée d’instruction des demandes se prolonge très souvent entre 6 et 8 mois. Les conditions sanitaires et les équipements des centres sont souvent précaires.
Dans l’attente de savoir si leur demande d’asile sera acceptée, ou refusée, les réfugiés ne sont pas autorisés à travailler et perçoivent une allocation mensuelle de 140 euros. Les adultes n’ont pas accès aux cours d’allemand organisés par l‘État.
Dans le cas d’une réponse positive à leur demande d’asile, les réfugiés accèdent à un hébergement dans une « Folgeunterbringung ». 60 de ces installations mises à disposition par l’administration sociale de la ville sont réparties sur l’ensemble du territoire de Hambourg. Ils ont alors le statut d’allocataire Hartz IV, sont autorisés à travailler et à accéder aux services de l’agence pour l’emploi, le Job-Center.
Le sous-équipement du dispositif est, là aussi et malgré les efforts pour mettre l’offre d’hébergement en « Folgeunterbringung » en rapport avec la demande, un enjeu fort de la politique de la ville.
Nous avons pu voir ces différents camps lors de nos interventions avec les Spielmobil. Nous avons aussi été dans un camps où les familles sont en Allemagne depuis plus de 10/15 ans, elles ont le droit de quitter le territoire allemand et ont un « Visa » pour y revenir, le droit d’y travailler, de louer un appartement mais refusent de quitter le camp. On a pu constater que selon les différents types de camps, les conditions d’hébergement et les droits des personnes n’étaient sont pas les mêmes. L’intervention pédagogique non plus. En effet, la question de la communication se travaille différemment sur un camp où les réfugiés sont en attente d’une réponse des autorités concernant leur demande d’asile que sur un camps où ils vivent depuis plusieurs années. Dans tous les cas, les actions auprès des populations réfugiées sont financées par la municipalité.

Hambourg est aujourd’hui la seule ville d’Allemagne a financer des Spielmobil dans les camps de réfugiés. Chaque équipe intervient selon un découpage géographique définit chaque année entre les équipe des différents Spiel Mobil, la municipalité et les travailleurs sociaux qui interviennent auprès des populations réfugiées.

L’objectif des Spielmobil est de travailler des démarches interculturelles à travers le jeu pour permettre le droit à l’éducation et aux loisirs. L’équipe joue plusieurs rôle. Auprès des enfants, elle joue un rôle de médiation et de régulation des conflits. Ceux-ci sont nombreux et doivent pouvoir se régler sans communication verbale car les enfants ne parlent pas tous la même langue. L’équipe est aussi là pour veiller aux droit des enfants et accompagner les parents à la parentalité. En effet, beaucoup de parents utilisent la présence des équipes des Spiel Mobil pour venir chercher des conseils (éducation, administratif,etc.)

Le travail des Spielmobil

Le fonctionnement d’équipe
Nous avons observé que la majorité des permanents qui travaillent en Spielmobil sont présents depuis longtemps sur les structures. Ils connaissent bien le territoire sur lequel ils interviennent, les populations, les familles, etc. Chaque permanent est référent d’un quartier et l’équipe se complète avec des vacataires afin de toujours être deux ou trois par intervention. On a observé que deux choses faisaient référence auprès des enfants. La première c’est bien-sûr le camion. En effet, l’arrivée du camion dans le camps est un moment important. Moment surprenant pour nous quand les enfants se jettent dessus alors que celui-ci roule encore qu’il nous faut descendre pour assurer la sécurité de chacun et empêcher untel ou unetelle de monter sur le toit pendant la marche arrière… La seconde chose qui semble faire référence c’est bien le/la permanentE. Il semble avoir une place spécifique, auprès des enfants mais aussi des familles et des intervenants sociaux qui peuvent se trouver là à ce moment là…On ne sait pas comment c’est vécu par les autres membres de l’équipe mais ça m’interroge. Après discussion avec Loïc, permanent à Dock Europe, il nous explique que les équipes sont constituées à l’année. Les personnes prennent l’habitude de travailler ensemble et bien que l’ancienneté semble faire légitimité, le temps permet aux équipe d’apprendre à se connaître et de fonctionner ensemble. Ce qui diffère de la France semble tourner autour de la question des règles et cela nous interroge. Est-ce la règle qui fait autorité ? Est-ce l’ancienneté qui fait autorité ? Bien qu’en brève immersion, nous avons été amenées à faire autorité mais sur quoi on se base s’il n’y a pas de règles ?
L’équipe a un cadre commun de travail et ensuite chacunE va agir selon sa sensibilité. Cela va donc créer des modes d’intervention différents mais complémentaires. Il arrive qu’au moment où l’un ou l’une fait un choix d’autorité les autres ne le partagent pas mais cela ne doit pas être remis en cause devant le public et se rediscute après. Concernant les règles, certaines sont posées par moment. Elles ont pour objectif, au vue du public, de lui donner une habitude de cadre. La règle est posée mais l’équipe sait qu’elle peut, qu’elle va être franchie. Elle est amenée à être discutée, négociée et pas forcément en collectif. C’est d’ailleurs une occasion d’amener la discussion avec un ou plusieurs enfants. La question du rapport à la règle est forcément différente en Allemagne, est particulièrement ici, sur l’exemple de Spielmobil, car si un enfant est en désaccord avec celle-ci, il peut quitter l’espace d’activité quand il le veut. La question de la libre entrée-sortie dans les espaces de loisirs influe forcément le rapport à la règle. Dans tous les cas, d’après différentes observations, nous constatons que ce n’est pas la règle qui fait autorité mais bien la posture de la personne et ce qu’elle parle ou pas la même langue que les enfants.
Cela interroge donc le moment où nous, en tant qu’adulte intervenons et la façon dont on le fait. On intervient s’il y a danger. Oui mais quand est-ce qu’il y a danger ? Le danger est relatif et propre à chacunE. Cela renvoie donc à la sensibilité de chacunE. Ici, le choix est souvent fait dans les équipes de laisser les enfants gérer, vivre leurs conflits et ils peuvent être violents aussi verbalement que physiquement. Car pour apprendre à les gérer, il vaut les vivre. L’objectif mis en place est de développer ses propres réflexes pour se protéger des situations de conflits que les enfants, futurs adultes pourront être amenés à vivre à l’extérieur. CertainEs adultes n’interviennent donc seulement que lorsque les enfants leur en font la demande. Cela nous interroge sur les questions d’oppression dans les groupes d’enfants. Doit-on intervenir quand on observe que le plus petit se fait frapper s’il ne demande pas l’aide de l’adulte ? Que fait-on lorsque l’on entend des garçons avoir des propos sexistes envers un groupe de filles ? On intervient quand ?

Déroulement des séances
Chaque jour, en début d’après-midi, les équipes se retrouvent au bureau de l’association pour préparer la séance. Un outil permet de suivre les séances de chaque camp, de savoir ce qui s’est vécu les semaines passées, l’ambiance, les difficultés, les besoins du public. A partir de cet outil, l’équipe fixe les objectifs de l’après-midi. La météo est aussi un facteur important… La séance commence toujours de la même façon. Des jeux collectifs sont organisés avant de sortir quoi que ce soit du camion. Cela permet à l’équipe de présenter les nouvelles personnes s’il y en a mais aussi de repérer les enfants présents, de voir comment ils vont, de les observer,... Les jeux collectifs varient selon les camps. En effet, sur un camps de réfugiés qui viennent d’arriver, les jeux vont s’orienter plus sur des objectifs de présentation, d’apprentissage de la langue, et vont varier selon l’âge et les envie des enfants. Le choix des jeux collectifs se fait donc sur ces différents critères.
Ensuite, nous décidons de quoi va être constituer le reste de la séance. Uniquement de l’aménagement (trampoline, balançoire, buts de foot, LEGO, etc. ) ou bien aménagement et activité manuelle (modelage, peinture, dessin, etc.) ou bien activité qui permet de sortir du camp (jeu en forêt, baignade à la piscine ou dans un lac, etc.). En fonction de l’activité choisie, l’équipe fait une liste du matériel à emporter puis se dirige vers le local et charge le camion. Parfois on part avec un camion plein à craquer et parfois avec un camion vide…
Les camions arrivent dans les camps vers 15h et repartent vers 18h30. Les jeux collectifs durent environ une heure. Ce temps permet aux enfants qui sont dans les hébergements de sortir au fur à mesure. Puis,chaque enfant va pouvoir vivre son temps d’activité. Venir participer ou non. L’entrée et la sortie sont libres. Selon les équipes, les adultes sont en référence d’une activité ou non.
Les familles sont présentes tout au long du temps d’animation. Beaucoup observent, certaines participent. Les enfants accueillis ont entre 1 et 15 ans. La place des familles n’est donc pas la même selon l’âge des enfants. L’équipe accompagne mais n’interviennent peu ou pas. L’intervention se situe principalement pour gérer les conflits entre enfants. Ceux-ci sont nombreux. Conflits autour du matériel, des règles de jeux, des histoires passées, d’un relationnel qu’on ne connaît pas toujours et qu’on ne comprend pas toujours quand on ne parle pas la même langue… La posture de l’adulte se veut rassurante, juste. Ici, les adultes ont une posture que nous qualifierions de plus « affecteuse » qu’en France envers les enfants. Il n’est pas rare de voir un membre de l’équipe faire un câlin à un enfant, le prendre dans ses bras, le porter et ce quelque soir l’âge de l’enfant. Loïc nous explique qu’ici l’adulte s’implique différemment qu’en France dans sa relation avec l’enfant afin de créer une relation avec celui-ci. Le cadre est clair pour les professionnels que nous rencontrons, ils ne sont pas leurs parents, pas leurs amis mais ils sont là pour les écouter et les accompagner avec un outil essentiel, le secret professionnel. Pour créer cette relation, les professionnels s’engagent personnellement, racontent des bouts de leur histoire. La question qu’ils se posent régulièrement est de savoir ce qu’ils ont envie de donner dans le cadre professionnel et ce qui reste dans le cadre personnel. Cette frontière nous paraît beaucoup moins tranchée qu’en France.
Pour terminer l’après-midi, une fois le matériel rangé, un jeu collectif est à nouveau organisé pour signifier le départ du camion. En fonction des camps, ce moment ne se vit pas pareil. Les enfants ont du mal à voir le camion partir. Le moment du rangement est important. Il marque une transition qui doit se passer en douceur. Il faut prendre le temps de ranger, prendre le temps de se dire au revoir… Malgré cela, certains enfants expriment violemment leur colère de voir le camion partir, en tapant dessus, en se mettant en danger en se cachant sous les roues au démarrage. Les équipes vérifient sur les différentes caméras extérieures que des enfants ne sont pas accrochés à l’arrière du camion. Moments difficiles pour nous même si nous savons que le camion reviendra la semaine prochaine.

Texte écrit par Mathilde en collaboration avec Marie et Marika
Hambourg, juillet 2015

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