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Sur le chemin du retour...

Quelques impressions à chaud

Publié le jeudi 12 janvier 2017

Aéroport Ben Gourion
05/01/2017 - 23h11

Palestine. Je suis venu avec mon imaginaire, mes représentations, mes préjugés. Je pensais trouver deux pays, dont un plus morcelé. Je pensais trouver deux territoires, dont un plus stigmatisé. Je pensais trouver deux peuples, dont un insoumis et révolté. J’étais loin de la réalité, sauf pour ce dernier.
Il n’y a en réalité qu’un pays, les territoires palestiniens sont totalement contrôlés. Il n’y a pas qu’une forme de violence mais une multitude d’oppressions matérielles et psychologiques. Il n’y pas qu’une forme de lutte mais une multitude de révoltes individuelles et intellectuelles.

La logique d’apartheid prend un nombre incalculable de formes que j’ai arrêté d’énumérer : des plus visibles (les colonies, le mur, ou les check-points), des plus violentes (les assassinats, l’emprisonnement et la torture), des plus innommables (frapper et tirer en pleine rue dans les membres inférieurs des enfants), des plus cruelles (l’expropriation, la destruction des maisons et la confiscation des terres), des plus sournoises (le contrôle des ressources comme l’eau et de la terre fertile), des plus quotidiennes (les restrictions, les check-points volants et les contrôles d’identité), des plus profondes (la privation de liberté de mouvement, la division de la population arabe en différents statuts, du territoire en différentes zones : A, B, C), des plus durables (l’embrigadement de toute la jeunesse israélienne dans une logique haineuse, la contrainte de toute la jeunesse palestinienne dans une impuissance rageuse), des plus insidieuses aussi (la facilitation de l’accès aux drogues, aux armes et aux autres maux d’une société de dépendance), des plus psychologiques enfin (l’attente, les humiliations et l’arbitraire).

Ma prise de conscience de toutes ces stratégies de domination est progressive et de plus en plus violente. Je me prends d’abord ce qui est le plus visible et palpable : les contrôles renforcés à l’aéroport et l’attente d’un interrogatoire qui ne viendra pas, les personnes en armes dans Jérusalem, les caméras et barbelés omniprésents, les lieux protégés. Ensuite, les zones périphériques stigmatisés comme le quartier de Silwan, les espaces colonisés marqués par d’innombrables drapeaux israéliens et les provocations comme ce groupe de jeunes israélites faisant un tour bruyant de l’esplanade des mosquées. Apparaissent alors de plus en plus clairement les outils de séparations : les murs, les barbelés, les fils électriques qui séparent un peuple de l’autre. Les check-points les contrôles et le nombre élevé de véhicules blindés complètent le tableau. On sort de Jérusalem et de ses touristes hébétés.
C’est alors qu’apparaissent clairement les premières colonies aux sommets des collines, les premières routes barrées, les premières canalisations d’eau grillagées. De nouveaux contrôles à chaque zone urbanisée. De nouvelles tours dressées comme pour offenser chaque passager. Impossible de ne pas se sentir oppressé.

Les premières rencontres, les premières assos partenaires, les premiers copains-ines palestinien-es. Premiers échanges, premiers témoignages, premières bouches-bées. Il s’agit de rester concentré mais le cerveau ne fait pas le lien entre ce qui est raconté et la réalité. Premiers sentiments d’inconfort, premières sensations d’incompréhension. C’est pourtant raconté avec humilité et sans fatalité.
Besoin d’air, besoin d’espace, besoin de regarder dehors, de voir que la vie semble normale. Besoin d’être rassuré, besoins d’événements datés, c’est du passé ?! Non c’était hier, raté ! Deux familles expulsées, deux maisons rasées, un quartier secoué, un homme tué, deux enfants blessés, 300 hommes déployés, 5 jeunes emprisonnés, autant de familles ravagées.
Rencontre après rencontre, quartier après quartier, ville après ville, ce sentiment d’insécurité morale, d’impalpable et d’improbable réalité, de vies volées.

Une incompréhension globale du contexte prend place malgré les dates, les événements, les faits. Comment est-ce possible ? Commet en arrive t-on là ? Ma morale d’occidental est mise à mal. L’histoire contemporaine a pourtant marqué comme peu d’autre le peuple juif. Le malaise qui s’insinue progressivement en moi est autant lié à mon incapacité à me rendre pleinement compte de ce qui se passe (non pas à travers un filtre médiatisé mais là, en vrai, devant moi !) ; qu’au sentiment que mon cerveau, mon coeur et mes tripes ont arrêté de fonctionner. Je ne ressent plus rien. Cela ne m’atteint pas. Phénomène naturel de protection ?
Je fais des transferts : la guerre d’Espagne et ses camps d’internements, la guerre d’Algérie et la torture, la Françafrique et la logique de colonisation, l’Afrique du Sud et sa logique d’apartheid. Et pourtant c’est un contexte unique ce qui se passe en Palestine tant en terme de logique implacable de domination quotidienne et institutionnelle (au nom de la démocratie), qu’en terme de durée. 1917, 1929, 1936, 1947-48, 1967, 1978, 1987, 1993-94, 2002 etc. autant de dates qui jalonnent le XXème siècle et qui expliquent la situation actuelle d’apartheid dans ses formes les plus criminelles.
Depuis la déclaration de Balfour au début du siècle, en passant par le mandat britannique, la « Nakba » (catastrophe), les résolutions de l’ONU, les enjeux géopolitiques du Moyen-Orient, les accords d’Oslo et les intifadas : c’est une occupation planifiée, militarisée et entièrement sous contrôle qui prend forme avec l’accord tacite de la communauté internationale.

De cette logique implacable d’occupation ; de ces situations de violences physiques, matérielles et psychologiques ; de ces humiliations quotidiennes ; comment ne pas répondre par la lutte armée ? Comment ne pas laisser s’exprimer une rage aveugle et une vengeance violente ?
Je ne prétend pas avoir de réponses mais je dois dire que c’est ce qui m’a le plus touché et le plus secoué : Les personnes rencontrées (au camp de réfugiés de New Askar à Naplouse, de Dheisheh et d’Aïda à Bethléem ou encore dans la ville d’Hébron ou dans le quartier de Silwan à Jérusalem) dégagent une force profonde proche de la sagesse. La politisation de ces militants se ressent tant dans la mesure des mots, dans l’expression d’analyses uniquement personnelles que dans leurs engagements individuels.
Face à ces privations de liberté, la lutte qu’ils mènent est intellectuelle. Elle passe par l’éducation, leur propre formation, avec une éducation populaire politique et critique omniprésente. Le tout ponctué d’humour, de dérision créant une distanciation de la réalité qui m’a plus d’une fois dérouté. Je me prends une telle leçon d’humanité et d’humilité que je penne à l’exprimer. Il va me falloir du temps pour digérer.

Je rentre secoué, avec une envie de me replonger dans des bouquins, des docus, des bd. Un besoin de comprendre et d’analyser. Un besoin de sortir de l’affect et des émotions, de reprendre les événements historiques dans l’ordre, de poser tout cela sur papier, de partager.
Je crois que 10 jours c’est pas grand chose et c’est en même temps beaucoup. Je crois que ce qu’on a pu partager est éphémère mais utile. Je crois que notre présence en Palestine et celles des copains copines palestinien-es en France est une forme de liberté. Je crois que le fait que cette expérience est en train de me changer, c’est déjà une façon de lutter.

La lucha sigue.

E.

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