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Retour à la réalité

Publié le dimanche 10 janvier 2016

Il y a des moments où tout va bien, où votre famille est là, vos ami.es semblent heureux, les gens qui vous aimez semblent sortir la tête de l’eau, des moments où vous êtes plein d’optimisme. Et puis un jour, quelque part, quelqu’un doit se dire qu’il a envie de tout gâcher. Il débarque avec ses rangers et sa tenue kaki, et vient tout foutre en l’air.

Recevoir sa famille, ses parents, ses frangins, faire du tourisme avec eux/elles, fêter noël, prendre du bon temps, rencontrer les militant.es des CEMEA venu(e)s en délégation, ne voir aucune incursion de l’armée pendant 12 jours, avoir l’impression de vivre une parenthèse de calme. Et puis...

2 janvier : on est inquiet.es. P., volontaire à HSA en service civique international, devait nous rejoindre pour le nouvel an, après avoir passé la frontière jordanienne pour refaire son visa. Deux jours sans nouvelle, impossible de le joindre, spéculations sur ce qui a pu lui arriver. Finalement, un message : refusé. Il est resté 10h en interrogatoire, sans avoir le droit de se lever de sa chaise, de bouger, de manger, de boire, et même de sourire. On l’a accusé, en vrac et évidemment sans aucune preuve, d’être un terroriste international, un dealer de drogue, et même d’avoir volontairement transmis le VIH à des femmes israéliennes. Consternation générale.

3 janvier : ce matin, j’ai rendez vous à 10h pour un winter camp avec des enfants. A 9h30, je sors pour attraper un service. Dehors, j’entends des bruits inhabituels mais je n’arrive pas à bouger. Un homme me pousse à l’intérieur. Incursion diurne de l’armée. Comme d’habitude, le camp est inondé de gaz. La résistance s’organise, les jeunes répliquent avec ce qu’ils ont, c’est à dire pas grand chose si ce n’est leur incroyable courage et leur détermination. Les enfants qui jouaient dans la cour de l’école de l’UNRWA, toute proche du lieu de l’attaque, se précipitent dans les bâtiments pour se protéger. Depuis le toit, on voit une vingtaine de militaires qui encerclent un homme. L’information arrive vite : ils ont arrêté le frère de S., volontaire à Laylac. Nous, on est à l’intérieur, on attend, on se sent con. Environ 45min plus tard, les copains arrivent. Ils nous racontent. Deux enfants ont été blessés par balle. L’un dans la main, l’autre dans la jambe. Personne ne comprend pourquoi, cette fois, ils sont venus si tard dans la matinée. A 10h30, la vie a repris son cours, les gens ressortent dans la rue. Moi, je pars travailler.

4 janvier : Le lendemain, dans la nuit, autre incursion de l’armée à Deheishe, différente cette fois. Ils n’étaient que 6 soldats, impossible à repérer. Les palestiniens les appellent littéralement "les comme les arabes", parce qu’ils sont habillés à la façon des palestiniens, Timberland aux pieds et keffieh sur la tête. Ils ont kidnappé un homme dans sa maison. [Peut-on utiliser un autre terme que "kidnapping" quand une personne est emmenée de force et mise en détention pour 6 mois renouvelable indéfiniment, sans procès et sans qu’elle soit informée des charges dont on l’accuse ?]

6 janvier : Ce soir, au moment de se coucher, on entend un triste chant que l’on entend que trop : c’est le chant des martyrs. Tout de site et comme à chaque fois, on a peur pour nos potes. Texto de H : près de la colonie de Gush Etzion, non loin de Bethléem, trois cousins ont été abattus par l’armée d’occupation. Ça crie dans le camp. L’occupant dira le lendemain qu’ils auraient été vu "armés de couteaux" et auraient été abattus "en prévention d’une attaque".
Pour les copain.es d’ici, ça ne fait aucun doute, les trois cousins partaient travailler et n’avaient aucun couteau sur eux.1
Le porte parole du croissant rouge s’exprime également, annonçant que "the ambulance crew were not allowed to get close to the scene". "L’équipe d’ambulanciers n’a pas été autorisée à approcher de la scène" 2

8 janvier : M et M sont marié.es. Lui est palestinien, elle est américaine, ils vivent ensemble à Deheishe. M. a toute sa vie ici : ses projets, ses ami.es, son mari, ses affaires, l’avenir qu’elle s’était choisi. Ils étaient en France pour les vacances de Noël. A leur retour de voyage, au pont Allenby, unique point de passage pour les palestinien.nes pour entrer en Cisjordanie, M. est stoppée. Interrogatoire. C’est long, c’est mauvais signe.
Verdict après une attente interminable : M. est blacklistée. 10 ans. Pas de mot.

Il y a des moments où tout va bien. Et puis un jour, quelque part, quelqu’un doit se dire qu’il a envie de tout gâcher. Il débarque avec ses rangers et sa tenue kaki, et vient tout foutre en l’air.

C. et T.

1 : sur la question des attaques au couteau, et des meurtres commis par l’armée d’occupation sous couvert de ces attaques, voir la vidéo faite par les volontaires de LAYLAC : Take a photo http://fr.laylacdo.org/?p=1528

2 : Source : https://www.maannews.com/Content.as...

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